La critique (de livres, de films, de musique...) a naturellement trouvé sa place sur le Web 2.0. Fait nouveau : les consommateurs, disons les citoyens, participent au discours de réception des oeuvres. Est-ce le signe d'une démocratisation ? A l'occasion des Rewics, lors d'une table ronde animée par Nathalie Caclard, quelques représentants de ces nouveaux réseaux sociaux et culturels ont fait le point, afin de comparer les pratiques.
Joachim Lepastier, blogueur cinéphile sur
365 jours ouvrables et critique aux
Cahiers du Cinéma :
- Un blog en définitive est toujours un portrait en creux du blogueur... Pour moi, l'intérêt pratique du blog, ce n'était pas seulement d'écrire sur les films, mais aussi de profiter de des possibilités d'Internet : faire du collage en confrontant des extraits de différents films, établir des passerelles avec l'architecture, la musique, l'actualité... Parallèlement, Internet est devenu un enjeu stratégique : le buzz autour des films est devenu un outil marketing orchestré avant la sortie...
Olivier Walbecq, fondateur du réseau
Libfly :
- Libfly au départ était juste un moyen de faire savoir la disponibilité de tel ou tel livre (à emprunter, à acheter...), et puis c'est devenu vraiment un lieu d'échange entre lecteurs, bibliothécaires et libraires... A quoi sert un réseau social ? C'est très simple : il a à la fois une fonction de réseau (créer une communauté, agir comme un porte-voix pour le lecteur...) et une fonction sociale (faire le lien entre le réel et le virtuel). Mais les critiques, les amis, les commentateurs, n'ont pas le même impact, il ne faut pas les confondre...
Alexandre Lemaire, responsable TIC au ministère de la communauté française :
- Quand j'étais bibliothécaire, la question qu'on m'a le plus souvent posée, c'est : «Est-ce que vous pouvez me conseiller un bon livre ?» Naturellement, je répondais invariablement par une autre question : «Qu'est-ce que vous aimez comme livres ?» et à partir de ce qu'on me disait, je pouvais orienter le lecteur... Ce type de demande se retrouve sur Internet. Les commentaires, les mots-clés, l'attribution de notes, mais aussi la possibilité de mettre en valeur les commentaires les plus pertinents et les plus «utiles», tout cela engendre une véritable masse critique, un filtrage collaboratif qui affine les recommandations de lecture. Et il faut le reconnaître : bien souvent, les algorithmes sont plus pertinents que les bibliothécaires eux-mêmes.
Bernard Strainchamp, libraire en ligne, co-fondateur de
Bibliosurf :
- Ce n'est pas tout de construire une base de données, il faut lui donner du sens. Croire qu'on peut fournir une demande toute faite, clés en main, est une illusion. Les «solutions» de recommandations automatiques ne fonctionnent pas si bien. C'est toujours de un à un que ça fonctionne... Le problème aussi, c'est qu'on a beaucoup de tentatives de contrôler les données (comme Hadopi, etc.). Il faut toujours se demander à quoi servent les données ? Où vont-elles ? Qui les réutilise ? Sur Bibliosurf, on a fait en sorte qu'il n'y ait pas de compte, ni d'identification du lecteur... Par contre, les chroniques sont modérées.
Guillaume Boutin, co-fondateur de
Sens critique (cinéma, BD, livres, jeux vidéo) :
- Le meilleur vecteur reste le bouche-à-oreille. Mais la vraie question c'est : est-ce que chacun a un avis légitime ? Par exemple, est-ce qu'un critique qui a vu 14 films dans la semaine est le plus qualifié pour recommander un film aux spectateurs «normaux» ?
Lorent Corbeel, rédacteur en chef de la revue
Indications dont le but avoué est d'«éveiller l'esprit critique des jeunes» :
- En offrant un cadre (en l'occurrence une revue) où les jeunes peuvent s'exprimer, on travaille à l'élaboration d'une forme d'intelligence collective. Mais il ne faut pas publier de toujours préciser d'où l'on parle, d'où l'on écrit... Mais en fait, le présupposé démocratique pose problème. Pour moi, la démocratie est un chantier, et non pas une situation donnée une fois pour toutes. Le débat est une chose, la démocratie en est une autre.
Illustration :
Arrêt sur image d'un match de foot sur une télé approximativement mal réglée, et tableau de Nicolas de Staël (de la série
Les footballeurs, 1952) : un collage visuel sur le blog
365 jours ouvrables.