Aux Rencontres de l'Orme de Marseille, un espace était dédié aux logiciels libres. J'y ai d'abord rencontré Yves Specht, fondateur de l'association Mandr'Aix (antenne aixoise de Mandriva), qui me présenta son GULL (Groupe d'Utilisateurs de Logiciels Libres) et sa
carte du réseau libre.
Il y a eu ensuite un intéressant débat sur le logiciel libre entre Jean-Claude Guédon (professeur à
l'université de Montréal) et Bernard Lang (cofondateur de l'
AFUL).
Selon Bernard Lang, le droit existant est mal adapté à Internet : les juristes devraient être les ingénieurs de la nouvelle société qui émerge, au lieu de vouloir à tout prix transposer des lois inadéquates (lois économiques en particulier). «C'est comme l'eau devenue de la glace, explique-t-il : c'est toujours de l'eau, mais ce ne sont plus les même les lois physiques qui s'appliquent. Il faut donc modifier les outils, sinon ça revient à tenter de pomper des glaçons avec une pompe à bras : ça ne fonctionne pas ! La plupart des juristes ne comprennent pas que leur modèle est obsolète...»
C'est alors qu'intervient Philippe-Charles Nestel, professeur de collège à Aix-en-Provence et membre de l'
APRIL. «Le problème, dit-il sur un ton vindicatif, c'est qu'on raisonne toujours par analogie. Or, la révolution numérique est entravée par les règles du droit multilatéral. En fait, la fracture numérique accroît la fracture sociale !» Cette intervention quelque peu elliptique méritait d'être approfondie. Après la fin du débat, ce brillant orateur - que tout le monde ici appelle Charlie - se prête de bonne grâce à une plus ample explication.
«Il faut revenir aux sources du droit pour comprendre les enjeux. Il y avait d'abord eu les accords du GATT (Accord sur les tarifs douaniers et le commerce) signés en 1947 par 23 pays, qui ont finalement abouti à la création de l'
OMC en 1994. C'est là qu'a été signé l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), un accord multilatéral de libéralisation des échanges qui remplace le GATT. A partir de là, les accords diplomatiques et internationaux priment sur les droits nationaux des états, notamment les droits sociaux et les services publics. Par exemple, tout ce qui concerne la propriété intellectuelle dépend maintenant de l'OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), une institution intégrée à l'ONU.
Il y a aussi eu l'ACTA, un accord secret entre les «Grands» pays (USA, Japon, UE, Emirats Arabes Unis, Australie, etc. à l'exception de la Chine et de l'Inde). Le but de l'ACTA était d'aboutir à un traité multilatéral sur la contrefaçon, mais ça signifiait le droit de fouiller n'importe quel matériel numérique, et pour tous les fournisseurs d'accès l'obligation de coopérer, autrement dit une restriction terrible de la protection de la vie privée... L'ACTA a été révélé par Wikileaks, mais il ne faut pas se leurrer : autre chose le remplacera.
Enfin, il y a la DRM (Digital Right Management), «Gestion des Droits Numériques» en français. La DRM a été instaurée par Bill Clinton en contrepartie de l'aide que lui avait fournie l'industrie de
l'entertainment qui avait massivement soutenu son élection. L'objectif de la DRM, c'est de contrôler l'usage des oeuvres numériques par des «mesures techniques de protection», qu'on appelle, nous, des
menottes numériques.
Environ 200 juristes américains se sont élevés contre la DRM, qui instaure des situations de monopole et fausse la concurrence : c'est l'OMPI qui l'a fait passer, via le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), une loi américaine étendant la propriété intellectuelle au champ numérique. En Europe, c'est devenu la directive EUCD, en France la loi DADVSI, dont HADOPI n'est qu'une version adoucie.
- D'accord... Mais alors, en résumé, quelles sont les priorités de votre combat ?
- Nous militons pour un logiciel libre livré avec son code-source. Nous sommes
contre la brevetabilité des logiciels. Ensuite, pour l'interopérabilité des systèmes, c'est-à-dire contre les menottes numériques : il faut absolument pouvoir contourner les mesures techniques de protection. Et enfin, nous luttons pour trouver un équilibre entre les droits d'auteur et les droits du public. N'oublions pas le sens originel de
copyright : «copy is right», c'est-à-dire dans quelle mesure on a le droit de copier. On parle toujours de droits d'auteur, et on oublie les droits du public ! Les multinationales font pression sur les systèmes éducatifs pour former les gens à n'être que de simples utilisateurs. Ce que nous voulons, c'est que le plus grand nombre accède à une véritable culture numérique.»
Voir aussi :
http://www.ffii.fr/ Association pour une infrastructure informationnelle libre.
Illustration : un pingouin sur un calisson, Linux + Aix =
AXUL.