"Chercher à s'intéresser aux modalités effectives d'usages est sans doute la meilleure manière de cerner au mieux la réalité de « l'internet pour tous », que l'on essaie de nous vendre comme étant un développement naturel du progrès technique et par-là même, selon un schéma causal déterministe, du progrès social."
"Disposer des infrastructures, des compétences minimum et construire des répertoires d'usages stables ne sauraient être présentés comme les signes explicites d'un dépassement de la fracture numérique. Car celle-ci ne recouvre pas seulement l'exclusion, le non usage ou la pratique indigente mais étend son spectre jusqu'à la "mal-inclusion", c'est-à-dire le développement d'usages parfois élaborés sur le plan des manipulations mais ne permettant pas pour autant de négocier une position sociale valorisante au sein des univers sociaux fréquentés (des champs mais aussi d'autres sphères d'activités comme la famille). Dans cette perspective, la fracture numérique est d'abord l'expression particulière, dans un champ donné (celui de la production des biens télématiques), de l'existence d'une asymétrie prononcée quant aux positions occupées par les agents dans ce champ. Consécutivement, elle est donc aussi un symptôme révélant une déficience plus ou moins lourde en un certain type de capital (technique), de plus en plus important au sein de nos sociétés technologiquement avancées et concourant au cantonnement des agents les moins bien dotés dans des positions de dominés, quels que soient les univers privilégiés de leurs investissements."
"La rhétorique du progrès technologique résume les problèmes de formation à ceux d'une alphabétisation informatique, sans même se poser la question des conditions nécessaires de l'acquisition d'un savoir-faire technique, alors que l'appropriation des contenus télématiques soulève la question bien plus vaste du capital social, scolaire ou culturel et en appelle immédiatement une autre, encore plus fondamentale, portant sur les positions sociales et les rapports de production. Car la "fracture numérique" devrait également être considérée "dans son sens le plus large comme la différence qui existe entre usagers dans la [...] capacité de contribuer à la production de connaissances et de sens véhiculée sur internet...""
"À l'heure où la "fracture numérique" nous est présentée comme la nouvelle inégalité (caractéristique des sociétés rentrées dans l'ère de "l'information" ou de "la connaissance") qu'il est nécessaire d'endiguer au plus vite sous peine de voir se creuser la "fracture sociale" et où une large part des analyses posées relèvent de « discours officiels » ou bien d'une recherche administrative cadrée par un pragmatisme dont l'impératif opératoire tient lieu de nouveaux critères de scientificité, une des tâches de cette sociologie critique des usages sociaux des TIC serait par exemple de questionner la façon dont les "subjectivités" des usagers travaillent et structurent leurs usages d'Internet ainsi que la manière dont celui-ci déplace leurs modes de "construction de soi" liés à leurs conditions objectives d'existence (la quotidienneté dans sa relation au travail et hors travail). Si, comme sembleraient l'indiquer certains écrits, le réseau des réseaux contribue à l'autonomisation des pratiques sociales dans leur double composante culturelle (e.g. les goûts) et sociabilitaire (variabilité des interactions interindividuelles), les potentialités ouvertes par celui-ci sont-elles pleinement actualisées par tous les utilisateurs ?"
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