Le Centre de Ressources des EPN de Wallonie était présent vendredi et samedi au Centre Pompidou (Paris) pour l'évènement intellectuel de la rentrée en France concernant les contenus Web et numériques : "
Digitally Yours 2 : Les Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2008" ; cette édition portant sur la thématique : "Cultures, politiques et ingénieries des réseaux sociaux".
Au coeur de ces deux journées : les questions d'individuation, de transindividuation et de refondation d'un nouveau monde industriel chères notamment au philosophe
Bernard Stiegler qui a participé activement à la programmation et à l'animation de ce rendez-vous, outre sa communication introductive pertinente.
Plus largement, il a été évoqué la question des réseaux sociaux et du Web 2.0 avec des angles réflexifs. Portons donc un regard sur quelques interventions marquantes de cette édition. Premier article sur les propos de Dominique Pasquier qui est intervenue durant la première matinée des rencontres, ce vendredi.
Dominique Pasquier et la sociabilité juvénile des adolescents
L'éminente sociologue de la culture et des médias
Dominique Pasquier (Directrice de recherche, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) s'est intéressée ces dernières années aux cultures adolescentes et plus particulièrement aux phénomènes de sociabilité juvénile. Son intervention aux Entretiens : "La nouvelle génération à la recherche du lien social" a été très marquante.
Dans ces travaux, Dominique Pasquier tente d'analyser ce qu'est la sociabilité juvénile dans sa diversité. Les adolescents d'aujourd'hui ont des fréquentations très accentuées avec des personnes du même âge (en comparaison avec les générations précédentes), possèdent des réseaux relationnels très étendus, inscrivent leur vie au quotidien dans des groupes d'amis réguliers. Dans ces mêmes groupes d'amis, coexistent des sous-groupes d'adolescents avec des liens faibles et liens forts.
La sociabilité intergénérationnelle des adolescents à l'heure du Web
Qu'est-ce qui change dans la sociabilité intergénérationnelle à l'heure du Web et les technologies relationnelles (GSM...) ? Dominique Pasquier répond entre trois points sur cette question.
1.
Les technologies ont tendance à renforcer des différences intergénérationnelles et donc des clivages entre les âges. A la différence des générations présentes où les objets technologiques étaient "contrôlés" dans le foyer (exemple du téléphone fixe dans une pièce à disposition de tous), le téléphone mobile (GSM) utilisé par l'adolescent fait qu'il n'y a plus de rupture communicationnelle avec les personnes de son âge à l'issue du temps scolaire et de loisirs. Cette communication générationnelle est renforcée par la continuité d'usages des outils. Dominique Pasquier cite l'exemple de la chambre du jeune devenue de plus en plus un refuge où se trouvent ces outils et où les pratiques se construisent. De ce fait, les adolescents sont dans une sociabilité horizontale et dans un conformisme renforcé.
2. L'implication dans les réseaux sociaux sur le Web et dans les pratiques technologiques fait que l'adolescent a le devoir (pression sociale ?) de
devoir afficher un capital relationnel en ligne (nombre d'amis sur MySpace ou Facebook, nombre de contacts MSN) auprès de ses pairs (autres adolescents). L'affichage est aussi une comptabilisation de la relation. Se faire "valider" par autrui devient essentiel tout comme la mesure de sa puissance en ligne (en volume d'amis et de contacts). L'affichage de ce volume de contacts nécessite une mobilisation pour trouver et "valider" ces contacts.
3.
Les adolescents s'affichent de plus en plus dans des réseaux utiles : on passe de la quantité ("capital relationnel") à une utilité affichée (Dominique Pasquier fait alors allusion à l'ouvrage "
Les Sentiments du Capitalisme" de Eva Illouz publié en version française en 2006, aux Editions du Seuil). Le sentiment se professionnalise. Ainsi, dans Facebook, on se doit d'utiliser son vrai nom et dans d'autres réseaux sociaux également. Ce nom révélé est porteur d'une désignation de soi dans ses compétences, son réseau relationnel plus ou moins étendu...
Dominique Pasquier conclut en indiquant que l'ancrage social local des adolescents est de plus en plus désinvesti, qu'avec l'utilisation des technologies, il existe un modèle masculin dominant là aussi renforcé et que l'utilisation des outils numériques, leur non utilisation ou leur utilisation différenciée interroge sur les très fortes inégalités en présence.