Ars Industrialis, rappelons-le, est une association créée notamment par Bernard Stiegler qui propose rien moins que de « former une écologie industrielle de l'esprit ». Christian Fauré, philosophe et ingénieur informaticien qui est membre du conseil d'administration, travaille notamment sur les technologies relationnelles. Ce qui suit synthétise ses interventions à deux colloques, l'un à Noirlac le 20 octobre (déjà évoqué ici), l'autre à Aix-en-Provence le 29 novembre dernier.
- Christian Fauré.
Christian Fauré invite à comprendre ce qui se joue dans l'évolution récente des TIC. Pour commencer il faut, dit-il, sortir de « la fable de l'immatériel » : c'est bel et bien une nouvelle industrie qui s'est mise en place. Cette industrie ne vend plus des machines (étape du
hardware, représenté par IBM), des logiciels (étape du
software, avec Microsoft) ou des systèmes d'exploitation de réseau (étape du
netware, avec Sun Microsystems), mais des accès aux données. Nous en sommes donc à la quatrième étape : celle du
dataware, l'échange de métadonnées, dont l'entreprise emblématique est Google. C'est essentiellement une industrie de transfert. Le transfert est depuis le départ une notion juridique, une question de propriété qui se règle par des protocoles : d'où les http, ftp et smtp où « tp » signifie chaque fois « protocole de transfert ».
Les industries de transfert pistent nos traces numériques. Lorsque l'on clique sur une « acceptation des données utilisateurs », on ne fait en somme que
transférer nos droits d'usage. Autrement dit, on valide juridiquement un modèle présent et à venir, ce qui revient à accepter d'être dépossédés de nos données personnelles, qui sont ensuite réutilisées après diverses transactions par le marketing. Bernard Stiegler parle à ce sujet de « servitude volontaire organisée ». Ce qu'on appelle les services du Web2.0 sont en fait des formulaires que nous remplissons en ligne sans jamais choisir les métadonnées. Facebook est bien mieux renseigné que Loppsi...
Le réseau est « fallacieux », dit encore Fauré. Il est dans une logique d' «offuscation », c'est-à-dire qu'il tait son véritable fonctionnement. Que se passe-t-il lorsqu'on effectue une recherche Google ? En fait, Google ne recherche jamais rien : il ne fait que copier les réponses pré-calculées à nos requêtes. Les opérateurs sont dans une position de contrôle panoptique des données. Amazon ne s'intéresse pas aux livres, mais à nos traces de lecture. Nos lectures en ligne sont décortiquées par les
readers analytics, et la surveillance est désormais très affinée. Les décideurs prétendant savoir ce que le public préfère lire, en déduit comment il faut écrire, et c'est ainsi que s'instaure de nouvelles normes qui touchent tous les maillons de la chaîne éditoriale. Que peuvent les libraires face aux recommandations algorithmiques ?
Raison de plus pour s'investir dans ces questions, lutter contre la perte des savoirs et occuper le terrain culturel des
Digital Studies. Refonder une « politique industrielle des technologies de l'esprit » est au coeur du projet d'Ars Industrialis.
Le blog de Christian Fauré :
http://www.christian-faure.net
Le site d'Ars Industrialis :
http://arsindustrialis.org