Dans un cadre propice à la circulation des idées (l'abbaye cistercienne de Noirlac en France) se tenait les 20 et 21 octobre un colloque sur l'écriture au XXIe siècle dirigé par Bernard Stiegler. Belle occasion pour découvrir et faire découvrir la pensée séduisante de Stiegler et de son association Ars Industrialis.
[caption id="attachment_7493" align="alignnone" width="300" caption="Bernard Stiegler, fondateur d'Ars Industrialis"]
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Sans prétendre résumer tout ce qui s'est dit pendant ces deux jours passionnants, on s'intéressera aux réflexions liées aux TIC.
Pour Stiegler, la technologie est ce que les Grecs appelaient un
pharmakon : à la fois un poison et un remède. Il faut donc utiliser le Web « pharmacologiquement », c'est-à-dire s'efforcer de limiter ses effets néfastes et susciter ses aspects positifs : profiter de ses formidables ressources d'échange et de participation, et lutter contre la puissance nuisible du marketing qui veut nous déposséder de nos propres données. Cela implique une réflexion en amont sur les mécanismes de la propagande, telle que l'a développée
Edward Bernays. Selon Stiegler, après le "devenir-immonde", voire "devenir-immondice" du monde, il faut en quelque sorte changer d'ère : passer à la
post-immondialisation.
Lucide sur les dangers et les catastrophes à venir, Stiegler trouve cependant quelques signes d'espérer : logiciels libres qui fournissent un modèle économique efficace (revanche de l'économie de contribution), essor de nouvelles pratiques qui s'écartent de la passivité consumériste (ainsi, les
playlists qui forment une réappropriation personnelle de la musique), inventivité dynamique (exemple des
Fablabs qui se développent notamment en Afrique de l'Ouest, ou comment concevoir des objets industriels designés sans recourir à une lourde infrastructure)
A mi-chemin entre une pensée critique (issue notamment de Foucault et des situationnistes) et des préoccupations plus actuelles (TIC, écologie...), Stiegler plaide pour une convergence des modes de vie urbain et rural : une « urbanité rurale » loin de la « métropolisation » accompagnée d'un usage raisonnable de la technologie, et une culture numérique collective faite d'échanges réciproques, citant cette belle formule de François Bon : « Nous nous mêlons perpétuellement à la forêt des autres, greffant à nos arbres des boutures en partage. »
Filant la métaphore de l'horizon, qui, comme le futur, s'éloigne toujours à mesure qu'on s'en approche, Stiegler a conclu sa première intervention :
« Il faut viser le lointain, le désirer et se faire désirer par lui. »
Pour aller plus loin :
le site d'Ars Industrialis.