La Silicon Valley au coeur de la tourmente financière, cette région au Sud de San Francisco en Californie, consacrée à la recherche, au développement d'applications, d'outils et à la corollaire vente de ces mêmes technologies tire depuis quelques semaines le signal d'alarme. Alors que les blogs dits "majeurs" de l'économie internet déclarée hier triomphante annonce
la mort du Web 2.0 et enterre l'expression qui sombre à mesure que les
capitaux des start ups s'évanouissent et commençent à licencier à tour de bras... Le monde change... Et porte relativement peu son regard sur cette financiarisation d'un Web occidental qui depuis 2003/2004 n'a pas cru à une deuxième bulle internet. L'
expert Jason Calacanis prédit la fin de 50 à 80 % des startups d'ici 18 mois. Le mouvement est
d'ailleurs mondial. La crise aura eu raison de ce système qui semblait si bien huilé mais avec une couche de vernis qui n'a pas résisté à l'épreuve du temps.
A partir de ces mêmes années et jusqu'à la semaine dernière, ce sont les startuppers et "monétiseurs" que l'on n'a cessé d'entendre, d'écouter dans les médias, de célébrer dans des grand'messes où des centaines voire des milliers de personnes attendaient et s'émerveillaient devant la belle présentation à retranscrire "en direct" sur son blog dans un foisonnement d'ordinateurs portables voire d'outils mobiles.
Des services en ligne à la rentabilité plus qu'improbable
Le 2.0 ne connait pas alors un jour sans un nouvel outil en ligne, relayé par les joyeux possesseurs de codes pour tester l'exclusivité en version bêta. Et le temps a fait son chemin. Le marketing, le management et les réseaux sociaux sont passés par là.
En octobre 2008, la réalité rattrape la fiction : Aucun réseau social majeur mondial de notre temps n'est à l'équilibre financièrement (ni Facebook, ni MySpace, ni Twitter, etc.)... "
Facebook a le couteau sous la gorge" titrait hier un article du quotidien Le Monde. Et le Web travestit son histoire :
"Le Web 2 est centré autour de l'utilisateur" comme si le Web d'avant ne le fut jamais!
"On collabore mieux. On est dans l'ère du Web participatif" nous annoncait-on prenant bien soin d'oublier que toute communauté en ligne a besoin d'êtres humains pour faciliter cette collaboration... Et que l'essentiel n'est absolument pas lié à l'outil mais à l'investissement humain dans un projet.
... Et les acteurs de l'Internet Citoyen dans tout cela ? Les communes et les associations se font faits davantage discrètes durant ces quelques années. Moins écoutées, moins en vogue aussi dans les médias. Pourtant, elles n'ont pas baissé les bras mais leur visibilité fut vraiment moindre.
Et les questions fondamentales pleuvaient sur ses nouveaux services dont bien peu d'interrogations mais surtout d'éléments de réponses même, étaient formulés avec l'écho pourtant nécessaire pour les citoyens que nous sommes quant à l'utilisation des services en ligne : Quid de la pérennité et interopérabilité des données ? Quid des questions d'identité numérique et de vie privée en ligne et au sein de ces bases de données ? Quid également de ce qui est créé par l'utilisateur et possédé par des acteurs privés ? Et la question qui résonne : quelle utilité sociale pour/avec ces outils ?
Les intellectuels et penseurs distanciés de l'Internet ont souffert aussi dans le silence du peu d'écoute, de l'indifférence du monde économique à propos de leurs travaux. La roue économique tournait : pourquoi donc entendre ce qui se disait, s'écrivait et se discutait en terme de réflexions ? Aujourd'hui, Philippe Quéau parle d'
Impasse moderne, Bernard Stiegler d'
un réseau numérique à l'origine d'un nouveau monde industriel, McKenzie Wark évoque une
figure esthétique du hacker moderne...
L'univers des logiciels libres : grand vainqueur de ces dernières années
Les médias en ligne et en hors ligne ont mis du Web 2.0 appliqués à bien des termes et à des expressions... En même temps, alors qu'on glorifiait le 2.0, doucement mais sûrement, les logiciels libres ont irrigué la société : le navigateur Firefox tout d'abord et OpenOffice dans la foulée. S'il y a bien une victoire tangible de ces dernières années, c'est avant tout celle-ci... Car elle n'est pas perméable et l'univers du libre s'impose dans les technologies, les infrastructures serveurs, les applications... Et aussi auprès des publics et c'est une avancée de fond, un acquis solide.
Oui, les publics car quoi qu'on en dise : ils ont été oubliés. Bien des services en ligne ont mis des mois à être disponibles dans plusieurs langues (dont le français, et bien des services ne sont pas toujours pas en langue de Molière). Où est la démocratisation de l'Internet sans la pluralité des langues et sans la compréhension de la culture ? Le public offre à ces services en ligne son contenu sans sourciller, partage et alimente ces bases de données immenses. Mais que reçoit-il en retour ? Il est tout à la fois acteur et consommateur. Il est un leurre de croire que ce fut l'utilisateur au coeur de ses outils, ce fut d'abord l'utilisateur dans sa dimension de consommateur (comme cible publicitaire...).
Le monde a changé... Et quid des Espaces Publics Numériques (EPN), maintenant ?
Alors comment se situer dans cette crise avec les Espaces Publics Numériques ? Leur avenir est plus qu'indispensable en moyens d'investissement et de fonctionnement. Sur les ateliers et l'offre en EPN : Revenir sans doute à des basiques, réalimenter les sensibilisations et les initiations avec un esprit critique, réintroduire le choix chez les apprenants : Non, Google n'est pas l'unique moteur de recherche!... Non, Skype n'est pas le seul outil de VoIP grand public, etc...! Et ce ne sont là que quelques exemples. Montrer le chemin des possibles sans induire tel ou tel outil, tel ou tel service, tel ou tel logiciel. Apprendre à faire découvrir, éveiller la curiosité d'esprit auprès des publics...
Il y a aussi fort à s'interroger sur les services pérennes où ce ne sont pas des scénarios d'usages qui se présentent mais en privilégiant réellement des initiatives portées par les acteurs de terrain et les utilisateurs. Le pragmatisme est bel et bien là. Bref, passer concrètement du dire au faire. C'est modestement ce qu'essayent de mener comme projets des Espaces Publics Numériques de Wallonie et d'ailleurs.
La crise économique faisant, l'outil pour l'outil dans sa variable gadget ou dans une simple dimension communicative/promotionnelle (induite ou non) n'a pas de sens et n'a plus de sens... Retrouver du sens à ces applications que ce soit dans une démarche d'utilité ou de création. Encore ne faut-il pas oublier que ce sens ou cette utilité doivent se conjuguer avec une humanité et cela, les animateurs d'EPN savent faire. Ces outils doivent faire un effort en terme d'accessibilité, de respect des normes et également dans leur capacité d'appropriation à différents publics et non pas seulement aux technophiles avides de nouveautés (
"early adopters").
Il y aura peu de choix dans les prochains mois : se préoccuper des publics les plus fragilisés va inévitablement devenir une priorité pour les EPN avec tous les efforts de projets que cela nécessite et de disponibilité. Prioritiser une démarche d'insertion sociale et de chemin vers l'emploi va s'avérer un besoin criant. Cela se fera aussi comme dans l'instant présent ou par le passé par des partenariats locaux avec des acteurs sociaux, publics et économiques concernés.
Le Monde a changé. Et laisser la place à du débat, à des débats est aussi une variable de premier plan. L'Internet citoyen dans sa diversité a son mot à dire tout comme les penseurs de ce temps, le secteur public, le monde de l'Education et les acteurs économiques. La parole des uns par rapport aux autres ne peut plus être confiscatoire.
Enfin, il va falloir s'habituer à un Internet non-ethnocentré sur la société occidentale et prendre en compte la diversité de ce monde en ligne et hors ligne. Oui, il y a plus
d'internautes chinois que d'internautes américains et le taux de connexion augmente grandement en Inde, en Amérique du Sud (Brésil notamment) et en Afrique du Nord.
L'internet n'est plus un et indivisible tout comme le Web 2 n'est certainement plus. Les Internet sont là.