En juillet 2009, le chercheur et professeur Manuel Castells fera paraître chez Oxford University Press, un ouvrage fruit d'un travail de plus de 7 ans : "
Communication Power" (la Puissance de la Communication), suite de ses travaux sur les réseaux et le Web notamment de "La Galaxie Internet" (publié en Français en 2002 chez Fayard).
Manuel Castells est un penseur incontournable sur la thématique des réseaux et de l'Internet. Sociologue, il s'est fait une spécialité de la Société de l'Information et de la théorie de la Communication. Manuel Castells enseigne principalement aux Etats-Unis à l'Université de Californie du Sud (Annenberg), à l'Université de Berkeley (Californie) et à l'Open University de Catalogne (Espagne). Reconnu mondialement pour ses travaux, la pensée de Manuel Castells irrigue aujourd'hui l'univers de l'Internet et des réseaux.
"Communication Power": nouveau livre de Manuel Castells
De quoi sera fait son livre à paraître "Communication Power" (608 pages) ? Manuel Castells s'intéresse donc à la puissance de la communication dans notre société contemporaine en considérant les implications sociales et politiques de phénomènes récents de la Société de l'Information comme par exemple les blogs et les réseaux sociaux/médias sociaux. Son essai comprendra des analyses reliées aux Sciences Politiques, à la Sociologie, à la Psychologie, aux Sciences de l'Information et à des études sur le management.
Son livre s'appuiera sur des analyses phares comme le régime de Franco en Espagne, des opérations de sociétés de communication de taille mondiale, l'information sur la Guerre en Irak aux USA, le contrôle de l'information en Russie et en Chine, ou encore la campagne électorale pour les Présidentielles aux Etats-Unis qui a amené la victoire de Barack Obama.
Au coeur des analyses de Manuel Castells, une analyse de la relation entre les médias, les pouvoirs (dont la politique) et les citoyens. Une transformation est en route dans ces rapports parce que les moyens de communications de masse traditionnels "affrontent" des moyens de communication Web et mobiles. Manuel Castells argumente autour d'une nouvelle notion de système de communication : la "mass-self communication", les médias de masse individuels qui émergent avec des relations de pouvoir : Les Communs de l'Internet s'appuient sur du local dans un environnement globalisé et connecté. Le message y est roi tout comme par exemple sur les sites de réseaux/médias sociaux et les blogs avec pour chacun de ces services des millions et millions d'utilisateurs dans le monde.
Castells cherche à établir une Théorie de la Communication du Pouvoir qu'il présente en fin d'ouvrage.
Au sommaire de "Communication Power", ouvrage de Manuel Castells (Oxford University Press) :
- Contents
- Opening
- 1. Power in the Network Society
- 2. Communication in the Digital Age
- 3. Networks of Mind and Power
- 4. Programming Communication Networks: Media Politics, Scandal Politics, and the Crisis of Democracy
- 5. Reprogramming Communication Networks: Social Movements, Insurgent Politics, and the New Public Space
- 6. Toward a Communication Theory of Power
- Authors, editors, and contributors
Manuel Castells en conférence à l'Université d'Oxford
Le Professeur et chercheur Manuel Castells a récemment donné une conférence en anglais à l'Université d'Oxford (Grande-Bretagne) -
consultable en ligne (74 minutes) : "Communication Power in Network Society" - où il présente quelques points clé de son livre "Communication Power" ; des propos passionnants sur l'utilisation des technologies de nos jours et la puissance de la communication. Voici un résumé des propos de Manuel Castells.
Introduction
La communication dans notre monde en réseau est ancrée dans une dynamique de pouvoir. Elle est toute à la fois globale et locale, générique et spécialisée (Manuel Castells employant ici le terme "customisé"). En outre, la politique, c'est d'abord une politique de type médiatique.
La TV, la politique et le pouvoir
Les médias sont fondamentalement du business et ne peuvent pas être uniquement des médias de propagande. Rappelons-nous que les médias doivent attirer de l'audience. C'est un système compliqué : les médias n'ont pas le pouvoir mais possèdent quelque chose de plus important : ils sont devenus l'espace du pouvoir. La puissance est dans le pouvoir de la communication. Les médias construisent le débat, le reconstruisent, le façonnent pour une pluralité de sources de pouvoirs.
Certes, il y a différents modèles de business dans les médias. L'un de ces modèles est la montée en puissance du journalisme dit "militant" avec des positions idéologiques (c'est le cas des networks télévisuels Fox News aux Etats-Unis ou de MediaSet en Italie). Les gens regardent prioritairement des médias TV qui confirment leurs opinions et donc qu'ils n'apprennent pas des médias ; les études le montrent clairement.
Un élément important à prendre en compte : il n'y a pas de contenu offert dans les médias (rapport à la gratuité). Autre point à ne pas négliger dans toute analyse de la communication médiatique et de pouvoir :
"Je suis dans les médias : j'existe. Je ne suis pas dans les médias : je n'existe pas".
La politique et les médias
Un message politique est nécessairement un message médiatique... qui doit être construit dans le langage spécifique des médias. Le processus de médiatisation est construit autour d'images (pas forcément visualisées, d'ailleurs). Le message simple de l'homme politique dans les médias se confond avec la simple expression d'un visage humain. La personnalisation du politique est donc très importante. Le produit vendu, c'est une personne, pas un programme, pas une position... Il s'avère que les citoyens ne lisent pas les programmes politiques. La confiance ou la méfiance s'établit d'abord via l'image qu'on a de la personne politique. Le visage humain est donc la clé de décryptage tout comme la confiance qu'on établit avec le politique : son histoire, son attitude, la facilité avec laquelle le personnage politique communique. Les décisions politiques se fondent avant tout sur les valeurs et l'émotion.
Donc, les portraits des politiques dessinés ou esquissés dans les médias sont essentiels : les valeurs sont "encapsulées" dans les corps des candidats politiques ou des leaders politiques. Manuel Castells indique qu'un candidat gagne d'abord car il détruit la confiance, l'image, les valeurs et la crédibilité d'un candidat alternatif comme personnage médiatique.
La raison en est simple : nous réagissons 6 fois plus aux messages négatifs par rapport aux messages positifs (des analyses en font état). Tout simplement parce que les dangers sont décodés plus rapidement par notre cerveau. On agit donc sur l'instinct.
Tout ce qui se fait dans notre société créé des marchés, parfois virtuels... avec la création d'intermédiaires qui fabriquent et détruisent de l'information, qui façonnent de l'information à partir d'éléments de vérité... Et ce marché avec ces acteurs permet d'attaquer l'opposant politique sur cette base.
Les mouvements sociaux et la mass-self communication
Les mouvements sociaux ne veulent pas changer le pouvoir mais les valeurs de la société. Les gens croient en leur propre démocratie et les études montrent qu'il y a dans le monde un désinvestissement dans la valeur du politique localement mais une augmentation importante des mouvements sociaux à un niveau macro.
L'émergence de la mass-self communication fait que les gens qui s'expriment hors du cadre médiatique traditionnel ont besoin d'utiliser un système de communication multi-modal, le même que les hommes politiques mais d'une manière différente. Depuis 20 ans, un nouveau système communicationnel s'est fondé et a pris de l'ampleur : l'explosion de la communication dite horizontale avec une plus grande autonomie. Le nombre d'internautes a explosé dans le monde. Le nombre d'abonnés au téléphone mobile est lui aussi exponentiel : 60% de la population mondiale est connecté à un réseau de type téléphonique... La communication via la téléphonie mobile prend une ampleur jamais connue et la téléphonie classique filaire régresse d'année en année.
A ce point de l'exposé, Manuel Castells indique que la principale fracture numérique de nos jours, dans les pays occidentaux, est l'âge.
Ce système horizontal de communication par internet s'est développé de manière accéléré : il se crée un blog toutes les secondes dans le monde. La plupart des blogs relèvent d'un
"autisme électronique" (la plupart des citoyens écrivent d'abord pour eux) mais 32% des blogs sont reliés à d'autres personnes, organisent autrement dit la vie sociale. MySpace, Facebook, YouTube, les blogs n'ont pas créé une société virtuelle mais un espace virtuel qui est devenu, une société réelle connectée avec tout ce que nous faisons dans notre vie. Bien sûr, le business est dans cet espace avec une puissance économique associée.
La connexion entre la mass-self communication et la compétence d'organiser un contrepouvoir à travers des mouvements sociaux a vraiment augmenté de manière significative. Manuel Castells cite ainsi l'exemple de la prise de conscience de la crise environnementale planétaire et des mouvements d'opinions autour de cette thématique. 80% de la population mondiale a connaissance de ces problèmes environnementaux et 60% des habitants de notre planète souhaitent que ce soit une priorité d'actions. C'est un mouvement social mondial qui impacte les médias, qui fait débat sur Internet, avec des actions locales également. Ces mouvements sociaux ont deux caractéristiques essentielles : ils sont une préoccupation locale mais avec une interconnexion globale. Ils sont locaux et globaux en même temps.
Durant les 10 dernières années, la relation du politique au citoyen a vraiment changé avec les nouvelles technologies. La mobilisation des citoyens quasi-instantanément pour des évènements en utilisant la téléphonie mobile est un fait et il s'agit surtout de protestations par SMS. C'est un phénomène très affectif dans le sens où vous recevez des messages de vos amis que vous redistribuez à votre carnet d'adresses. Donc, ce ne sont pas des messages anonymes que vous recevez : vous avez inévitablement confiance au contenu de ces messages. Les citoyens peuvent transformer une indignation instantanée en une mobilisation sociale instantanée avec une cible vraiment définie dans les effets.
La campagne électorale pour les Présidentielles aux Etats-Unis : analyse de la communication de Barack Obama
Manuel Castells prend alors l'exemple de la campagne de Barack Obama. C'était le candidat le plus improbable, il y a deux ans. Barak Obama a pris en compte des acteurs politiques nouveaux : plus de 9 millions de nouveaux électeurs. Ce n'est pas un phénomène révolutionnaire autour de Barack Obama. Il est quelqu'un de pragmatique. Que s'est-il donc passé ?
Avec ses étudiants et son équipe de chercheurs, Manuel Castells a collecté des données et des études sur la campagne présidentielle américaine. Il revient sur des qualificatifs employés par les personnes et les médias américains au sujet de Barack Obama :
"nouveau",
"qui donne envie"... B. Obama était auparavant dans le champ politique mais pas comme un homme politique habituel. Du fait de son parcours, son message a été perçu comme crédible, avec un message concentré sur deux mots :
"Changement" et
"Espoir" opposés à la
"Continuité" (l'establishment politique) et à l'
"Expérience". Les mots sont extrêmement importants parce qu'ils construisent des métaphores qui aident notre cerveau à modeler nos pensées. Notre cerveau pense en métaphores.
"Continuité" et
"Expérience" ont donc rimé dans l'esprit des gens comme :
"Les choses vont donc être encore les mêmes ? Cela ne va pas bouger ?"
Obama a eu une cible prioritaire, dès le début de sa campagne électorale : les jeunes!... Ceux qui ne votaient pas habituellement. Et c'était lui, le message! Obama a utilisé une méthodologie proche de l'activisme local à Chicago, celui développé il y a près de 40 ans dans les quartiers des minorités, c'est-à-dire avant tout une communication de voisinage, quartier par quartier dans le pays, dans les 50 Etats des Etats-Unis avant de dupliquer ce process sur Internet avec un site Web qui a permis cette connexion avec des efforts locaux de militants et qui a rendu possible la connexion des gens entre eux à travers le pays. Cela signifie que chaque évènement local de communication a trouvé également sa place sur Internet. C'est donc la combinaison entre la base et Internet qui a joué avec une cible privilégiée : les jeunes.
La clé de la politique étant avant tout l'argent et non l'idéologie... Barack Obama et son équipe ont massivement utilisé Internet pour financer sa campagne en battant tous les records de dons pour une campagne électorale, et en évitant donc les lobbies. Il a gagné en crédibilité. Et surtout, il a créé un mouvement unique de 3 millions de donateurs, des particuliers. Il a remplacé en quelque sorte le pouvoir de l'argent par l'argent au service de la puissance.
Autre fait intéressant, les médias n'ont pas préféré Barack Obama pour la personne mais d'abord pour son histoire et la narration liée au personnage : sa destinée, sa capacité de mobilisation, le suspense créé. Le scénario médiatique se voulait donc grandiose, comme un vrai feuilleton à rebondissements!
Conclusion de la conférence de Manuel Castells à Oxford
L'espace de communication est le champ de construction du pouvoir. La communication est transformée par la technologie et le business dans les médias. Les citoyens ont une capacité d'autonomisation vis-à-vis de la politique traditionnelle ; cela ne signifie pas que cette capacité/possibilité soit forcément mise en action.
En même temps, le pouvoir politique et le pouvoir du business ont compris qu'il fallait contrôler cette communication horizontale... L'internet est devenu trop important : il faut donc le censurer ; il y a un débat sur la neutralité de l'Internet. Il existe une bataille politique et du marché pour le contrôle de l'Internet.
La conclusion la plus pratique et importante de l'analyse de Manuel Castells : la construction autonome du sens peut seulement se faire en conservant les communs de des réseaux communicants rendus possible par le Web. Dans ces réseaux (
"networks"), il doit y avoir de la communication libre. Nos réflexions, notre manière de penser est construite par cette manière de penser en réseau, comme une multitude.
Références :
Sur Manuel Castells et la Mass-Self Communication, lire en français, son article "
Emergence des médias de masse individuels" (Le Monde Diplomatique, août 2006) et "
Le pouvoir a peur d'Internet" (sur le blog Parralde, janvier 2008).
En anglais, cf. le plan du séminaire de recherche de Manuell Castells à l'Université de Californie du Sud Annenberg au printemps 2008 : "
Research Seminar on Communication, Technology and Power"