Une grande partie de notre vie sociale est d'ores et déjà définie, répertoriée, caractérisée par les traces numériques que nous laissons de manière volontaire et involontaire, au gré de nos échanges sociaux et de nos démarches commerciales en ligne. Aujourd'hui, il faut aussi compter avec la déferlante des objets connectés. Votre GSM ou votre smartphone ne sait pas encore si vous courez, marchez, roulez en voiture ou faites vos courses. Cela va changer avec les capteurs embarqués dans les montres Apple ou Samsung, les chaussures Nike ou Digitsole, les balances Withings et autres bracelets connectés Sony ou Fitbit qui vous informent sur le nombre de kilomètres parcourus en une journée, la quantité de calories brûlées et la qualité de votre sommeil. Ces données, toutes ces données, sont méthodiquement et systématiquement mémorisées dans de gigantesques silos de données, ce qu'on appelle le Cloud.
Phéromones numériques
C'est qu'elles représentent un potentiel économique considérable. Antoinette Rouvroy, chercheuse FNRS au CRIDS de Namur dans un entretien publié sur le blog du Monde : « Nous intéressons les plates-formes, comme Google, Amazon, ou Facebook, en tant qu’émetteurs et agrégats temporaires de données numériques, c’est-à-dire de signaux calculables. Ces signaux n’ont individuellement peu de sens, ne résultent pas la plupart du temps d’intentions particulières d’individu, mais s’apparentent plutôt aux « traces » que laissent les animaux, traces qu’ils ne peuvent ni s’empêcher d’émettre, ni effacer, des phéromones numériques, en quelque sorte. Ces phéromones numériques nourrissent des algorithmes qui repèrent, au sein de ces masses gigantesques de données des corrélations statistiquement significatives, qui servent à produire des modèles de comportements. »
La force de la recommandation
Les caméras, les capteurs mais surtout les objets connectés (de la montre à la voiture intelligente) ont ainsi pour fonction de capter un maximum d'information en temps réel pour interpréter, puis guider nos conduites : nos achats, notre consommation, nos loisirs et, in fine, notre façon de voir le monde. Avec Now, Google donne en temps réel diverses informations que le système pense nous être utiles. Il les affiche en fonction de notre position géographique qu’il détermine par le GPS intégré ou par l’adresse IP via laquelle notre écran se connecte. Ses propositions sont automatiquement sélectionnées par des algorithmes sur base des données que les services Google ont collecté à partir des diverses recherches que vous avez faites sur Google Search et sur Google Maps, des rendez-vous fixés dans votre calendrier si vous utilisez Google Agenda, des mots clés de votre messagerie : bref à partir de tout service Google que vous utilisez. Aujourd'hui, à partir des données que la société fera remonter des objets connectés dans lesquels il investit massivement, Google travaille à la mise en place une interface algorithmique d'interprétations de nos faits et gestes au quotidien, en temps réel, où que l'on soit.
Le pouvoir des algorithmes
Le risque est d'en arriver à un univers automatique basé sur la recommandation et sur l'analyse algorithmique de ce qui est bon pour nous. Les sites commerciaux n'ont pas vocation à prendre en compte nos besoins : ils ont pour but de les encadrer grâce à un maximum de personnalisation. L'objectif n'est pas tant d'adapter l'offre aux désirs spontanés des individus mais plutôt d'adapter les individus à l'offre, en adaptant les stratégies de vente (la manière de présenter le produit, d'en fixer le prix) au profil de chacun. Pour la chercheuse des FNDP, c'est là le véritable pouvoir des algorithmes : «Le fait de parcourir le site internet d’une enseigne vestimentaire; de cliquer sur différents produits; de les commander ou non, entraînera les premières mesures recueillies, analysées puis mémorisées, et qui permettront aux algorithmes de conduire insidieusement nos recherches, nos désirs, et au final, de nous faire acheter le produit que l’on pense avoir choisi le plus librement possible.» Le 16 février prochain, Antoinette Rouvroy donnera une conférence sur ces applications « big data » qui visent à modéliser les comportements humains.
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